Less is more ! Cette leçon retenue de son voyage doctoral, Jean-Roch Houllier continue de la mettre en application dans ses recherches personnelles comme dans les stratégies de formation qu’il contribue à développer chez Safran University. (On souscrira volontiers à sa proposition en se souvenant de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer. ») Au fond, le chemin lui importe autant que les résultats (dès lors que les résultats sont atteints !). Preuve par l’entomologie et l’AFEST…
Voyage doctoral : « Less is more »
Les débuts de mon doctorat furent difficiles. La quantité d’informations à assimiler était astronomique. Chaque cours se terminait par son lot de nouvelles références bibliographiques et de « piles de livre » avec lesquelles nous repartions. J’étais d’autant concerné, que, faute alors d’un sujet précis de recherche, je tentais « d’ingurgiter » sans réelle distinction tout ce que l’on nous soumettait. Overdose informationnelle ! À la recherche d’un sujet, je misais en ces prémices sur une approche souvent fatale à nombre de doctorants : viser large et exhaustif avec un sujet (trop) ambitieux. Bref, trois mois plus tard, il me fallait revenir à la case départ !
À l’issue du long et fascinant voyage qui allait suivre, je franchissais finalement la ligne d’arrivée et les fameuses « six portes » de qualification spécifique à Skema Business School (deux revues de thèse, la « revue littéraire », la proposition de recherche, le bilan de recherche et, enfin, la soutenance !).
Avec un constat : au-delà de ma recherche proprement dite, j’avais finalement (surtout ?) appris que, si le chemin de l’aventure doctorale est escarpé, il vaut largement aussi pour l’opportunité du retour (réflexivité) que le chercheur peut opérer sur lui-même. Premier enseignement majeur, qui fait écho à l’humilité du chercheur : aussi « congrue » soit sa contribution (son « lego ») à l’édifice de la recherche, dans le respect de celles des prédécesseurs, elle est déjà (œuvre) utile : l’incrément sied davantage à la majorité des chercheurs que le paradigme ! Second enseignement porté par le Dr Ralf Müller (mon maître de recherche) : l’exercice du doctorat consiste avant tout à démontrer la capacité du chercheur à accomplir les multiples étapes d’un voyage (la forme) sans viser une révolution (le fond) : « Less is more » !
Traçabilité et capitalisation doivent jalonner toute recherche
Retour sur un autre chantier de recherche, cette fois en cours : la révision, que nous menons avec trois autres chercheurs, d’une tribu de coléoptères (près de 250 espèces ou taxa), et l’opportunité d’échanger avec Jacques Rigout, l’auteur de la dernière grande révision (1982) dont les Musées et les collectionneurs du monde entier possèdent la trentaine d’ouvrages. Désormais retraité, le disque dur de son ordinateur ne détenait plus que deux photos ! Cette anecdote, pour illustrer à quel point, au-delà du livre et des résultats qu’il affiche, il importe de tracer les données et les décisions sous-jacentes qui jalonnent toute recherche. Nos observations ont, par exemple, montré que certains de nos prédécesseurs, faute de disposer de ces données, ont parfois copié et répété les erreurs d’autres auteurs plus anciens, les propageant ainsi de révision en révision.
Les découvertes que nous avons faites en remontant aux sources et aux articles originaux ont puissamment affecté notre compréhension actuelle des espèces animales concernées. D’où notre décision, stratégique : ce ne sont pas seulement les livres paraître prochainement que nous remettrons aux Musées du monde entier qui nous accompagnent dans cette démarche, à commencer par le Muséum d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN), mais l’ensemble de toutes nos données numériques de recherche dûment classifiées (articles, photos, cartes, réflexions variées, etc.) dont on peut mesurer l’utilité pour les chercheurs qui se pencheront à l’avenir sur cette tribu de coléoptères… Chercheurs issus d’une longue lignée, commencée par Carl von Linné, l’illustre naturaliste qui décrivit l’espèce que l’on nomme aujourd’hui Batocera rubus (Linné, 1758).
La posture réflexive en formation : retrouver le temps long
Comme référent AFEST (action de formation en situation de travail), j’ai compris, inspiré par ma démarche de chercheur, qu’en matière de formation, le chemin importe autant que les objectifs pédagogiques associés. Parvenir au résultat est certes essentiel, réfléchir sur le chemin est tout aussi riche d’enseignement ! Ce que finissent toujours par comprendre les meilleurs élèves de classe préparatoire (pour citer seulement cet exemple) : je me souviens de ma difficulté à suivre le rythme, de ces heures à préparer les « colles » pour avoir finalement oublié l’essentiel le jour « J », alors que d’autres se préparaient nettement plus vite, avec une facilité déconcertante, pour obtenir de bien meilleurs résultats ! Savaient-ils seulement qu’ils étaient en classe préparatoire ? Mais, je doute qu’ils auraient su m’expliquer comment ils s’y prenaient. Affronter des difficultés, c’est développer une forme de résilience doublée de lucidité !
La conception d’une formation impactante, qu’on se penche sur le « quoi » ou le « comment », devra donc reposer sur l’alternance bien pensée de phases d’action et de réflexivité, dosant intelligemment facilité et difficulté, propice à la réflexion personnelle et collective, favorisant tout autant le chemin que le résultat visé. En cela, elle contribuera au développement de praticiens et praticiennes réflexives avec eux-mêmes et avec les autres, plus encore à promouvoir et à retrouver le temps long, si précieux !
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